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Voici la page d’actualités du site, vous trouverez des informations plus quotidiennes de la compagnie. Les entretiens menés par Aurélien Labruyère autour des nouvelles créations de La FACT, des articles de presse, des annonces, certaines actualités liées à ses membres au-delà de La FACT…

Posté par Aurélien Labruyère

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En Amazonie au Théâtre du Rond-Point dans le cadre de "Piste d'envol"

Mardi 26 mars 2024

Grand plaisir d'annoncer que le texte "En Amazonie" écrit et joué par Aurélien Labruyère et mis en scène par Jean-Baptiste Delcourt est sélectionné par le comité de lecture du Théâtre du Rond-Point à Paris ! Le mardi 26 mars prochain, ils présenteront donc un extrait du texte sous la forme d'une lecture, mise en espace, à 12h30 au Théâtre du Rond-Point dans le cadre de "Piste d'envol". Si vous souhaitez y assister, il reste des places sur le lien ci-dessous ! Au grand plaisir de vous voir !

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Une coproduction Grand-Angle (FR) / FACT (BE) CDN Nancy Lorraine, Théâtre de la Manufacture, Équinoxe Scène nationale de Châteauroux Merci à tous nos soutiens ! Ministère de la Culture Fédération Wallonie-Bruxelles/Officiel CDN Orléans/Centre-Val de Loire La Halle aux grains - Scène nationale de Blois Remerciements particuliers Daniel Rouland Christian Porta Théâtre du Rond-Point Théâtre des Martyrs

Posté par Aurélien Labruyère

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Entretien avec Anna Solomin & Gaspard Dadelsen autour de "The Soft Parade"

Vendredi 16 décembre 2022

Le jeudi 24 novembre, Anna Solomin, Gaspard Dadelsen et moi nous sommes donné·es rendez-vous pour échanger autour du spectacle The Soft Parade qu’iels écrivent et mettent en scène ensemble. Soutenu·es toustes les deux par la FACT pour ce projet qui va jouer le 26 décembre prochain pour Noël au théâtre, il était urgent pour nous de leur proposer ce désormais traditionnel entretien, puisque nous voilà déjà à la quatrième édition !

Il est donc 14h30, ce jeudi là. Après trois sms et un mail, la petite musique de connexion Zoom se déclenche. Le petit cadre s’allume, je lance mon enregistreur et Gaspard et Anna remplacent le petit pictogramme qui occupait les deux tiers de mon écran. On vérifie les micros, on se raconte notre début de journée, ce qu’on fait, là où on est et on y va !

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Aurélien : L’avantage ici, c’est que j’ignore à peu près tout de The Soft Parade. Je sais simplement que c’est un projet que vous portez à deux mais le reste je n’en sais absolument rien… The Soft Parade, c’est l’histoire de quoi…?

Gaspard : The Soft Parade c’est l’histoire d’un parc. L’Histoire du parc Phia Ménard. Dans ce parc, il y a une aire de jeu où Frankie et Adel, deux amies de longue date, se retrouvent tous les soirs, pour rigoler, partager des souvenirs et parler un peu de la vie. Ce soir-là, on apprend que le parc et par conséquent l’aire de jeu vont être détruits. Le parc va être remplacé par un centre commercial. Le nouveau grand Centre Commercial du quartier. Ca c’est le contexte on va dire.

Pour Frankie, c’est un soir un peu spécial car elle a quelque chose à dire à Adel.

Les deux amies se retrouvent et tombent sur le sac d’un jeune homme qui va arriver et qui s’appelle Aimé. Aimé est à la recherche de sa sœur. Ces trois-là donc, Frankie, Adel et Aimé vont traverser cette nuit ensemble, échanger sur leur vie, sur leurs peurs du futur, sur leurs désirs etc… Brièvement, The Soft Parade parle de la jeunesse et des questions qui la traverse.

Quel a été votre processus ? Vous avez écrit ensemble en amont des répétitions ? Au plateau avec les acteur·ices ?

Anna : On est parti·e d’une recherche sur l’adolescence. Précisément, à partir de la question de l’intime et de la révolte à l’âge adolescent. Après cette première longue recherche, on a écrit à deux une première version du spectacle. On a ensuite fait des premiers essais au plateau et nous sommes reparti·es écrire. On a fonctionné en aller-retour plusieurs fois pour aboutir à la forme actuelle.

Les acteur·ices sont évidemment impliqué·es dans le processus, iels ont participé en partie à cette recherche avec nous mais pour l’écriture du spectacle ça s’est vraiment fait à deux avec Gaspard, en amont du travail au plateau.

L’équipe qu’on a réunie nous a beaucoup aidé à affiner l’univers du spectacle. Je pense à notre scénographe, Sybille Cabello qui nous a aiguillé et nous a permis de trouver l’espace du spectacle.

Aussi, Gaspard et moi, on a rêvé d'un univers sonore très fort pour le spectacle. On s’est entouré·es d’une créatrice sonore qui est Barbara Juniot mais aussi d’un compositeur Maxime Pichon. Ce qui a densifié l’univers.

Qu’est-ce qui vous a poussé à créer ce spectacle là ? Quelle était la question que vous vouliez agiter ou poser à travers ce geste ?

Gaspard : Au départ, c’est parti d’un désir de parler de la révolte. C’était un peu le gros mot, le gros concept autour duquel on tournait. Ensuite, on s’est posé·e la question de comment incarner cette révolte ou plutôt depuis quel point de vue la regarder. On a donc décidé de la voir du point de vue de la jeunesse d’aujourd’hui. On voulait essayer de comprendre ce qu’est la révolte pour cette jeunesse, aujourd'hui qui a entre 13 et 18 ans.

Là, ça nous a amené sur une arborescence de questions. Pourquoi dit-on que l’adolescence est l’âge de la révolte ? Quels sont les lieux, les espaces réservés dans l’espace public pour cet âge là ? Plus largement, on a eu envie, je crois, de redonner un peu de prestige et de maturité à un âge que l’on décrit un peu vulgairement comme “le passage à l’âge adulte”.

On s’est dit que c’était un peu plus que cela. Un peu plus qu’un passage. Alors, on s’est nourri·es d'œuvres autour de cela pour enrichir notre regard. Des œuvres littéraires mais pas que. On s’est aussi intéressé·es aux modifications “biologiques” qui ont lieu à ces âges-là. Comment cette période de la vie est observée du point de vue scientifique par exemple.

**C’est vrai que l’on entend souvent parler de l’adolescence comme d’un âge problématique… **

Anna : Complètement. On entend souvent dire "Ça passera…" Comme si ce moment de la vie où le sentiment de révolte est le plus grand était destiné à se tasser, à se tarir. Donc on a voulu donner une dignité à ces moments de la vie.

Vous avez appelé le parc où les protagonistes jouent, le parc Phia Ménard. J’imagine qu’il y a une raison.

Anna : Déjà, adolescent·es, en dehors de sa propre chambre, pour se retrouver avec les autres il y a essentiellement les endroits que l’on squatte. Ça peut être les abribus, les cages d’escaliers, les aires de jeux, les parcs etc. Et donc, en trouvant l’espace du spectacle avec la scénographe, on s’est dit qu’à défaut de pouvoir rebaptiser des lieux publics dans la vraie vie avec le nom de personnes que l’on admire, autant se le permettre dans nos fictions !

Et puis, baptiser un lieux publics avec le nom d’une femme trans, ça nous parle. C’est aussi pour poser des indices ici ou là dans le spectacle. Des indices qui ne font pas sujets à proprement parler dans le spectacle mais qui font références à des personnalités queers. C’est une manière pour nous de faire exister ces thèmes dans le spectacle mais sans en faire un débat. C’est une sorte d’arrière-plan à l’intrigue. Il y a d’autres indices d’ailleurs !

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Qu’est-ce qui anime la révolte des personnages du spectacle ?

Gaspard : Le centre commercial bien sûr, on avait même imaginé au départ que le spectacle finisse en manifestation.

Anna : La révolte ne se loge pas toujours dans des manifestations et on a dû dépasser cette première évidence. La révolte est parfois plus intime et tout aussi violente.

Gaspard : Clairement ! L’aire de jeu, le parc, représente une sorte de “cabane” comme on disait enfant, où rien ne pourra nous arriver, où on pourra rester ensemble toute la vie. Ce lieu représente une sorte d’alternative. S’il disparaît est-ce qu’on peut continuer à être ensemble ? Faut-il accepter de grandir ou est-ce qu’on peut réussir à rester jeune tout en devenant vieux ? La révolte est plus à cet endroit intime je pense. Le parc, l’aire de jeu et leur disparition fonctionnent plus en métaphore.

**C’est votre premier projet ensemble ? **

Anna : On a déjà travaillé ensemble mais de cette manière là c’est la toute première fois.

Qu’est ce que vous aimez dans le fait de travailler l’un·e avec l’autre ?

Gaspard : Au-delà du fait que l’on s’entende bien, je pense qu’Anna est quelqu’un·e qui va vraiment au bout des choses. Par exemple, dans le projet, la dimension de la révolte de cette jeunesse est un motif, une chose qu’Anna s’est vraiment acharnée à tenir, de toujours nous ramener à cette actualité, de nous relier à cette jeunesse d’aujourd’hui. Travailler avec quelqu’un·e qui tient un fil de A jusqu’à Z, c’est idéal.

Anna : J’aime beaucoup la poésie qui émane de Gaspard, sa manière de considérer les choses et le monde. Il est toujours très disponible et ouvert à ce qui arrive que cela soit en écriture ou sur le plateau. Il a aussi très confiance dans les propositions qu’il fait. C’est très stimulant je trouve quand on travaille avec quelqu’un·e.

C’est vrai que lorsque l’on travaille à deux, ce qui peut ressembler à une errance quand on est seul·e, devient une sorte de rebond permanent. Je suis bien d’accord. J’y pense, dans la FACT, on parle beaucoup ces temps-ci de ce que l’on propose aux spectateur·ices en plus de l’expérience théâtrale, en plus de la représentation. Vous prévoyez des choses en plus du spectacle ?

Gaspard : Oui, par exemple, on a suivi deux classes de secondaires pendant une année. On a travaillé avec elleux autour des thèmes du spectacle et surtout iels ont vu plusieurs de nos étapes de travail. On a proposé des ateliers d’écriture aussi.

Anna : C’est vrai aussi qu’on tenait, pour parler de cette jeunesse, à partager des moments avec elle. Suivre ces jeunes pendant un an était très riche. Par exemple, je me souviens d’un échange avec elleux autour des costumes. Iels développaient l’idée que les vêtements portaient une narration autonome. Ainsi, de la question du costume au théâtre, les questions se sont élargies à ce qui les touche aujourd’hui. Pourquoi par exemple il y a toujours des débats sur la manière dont les filles peuvent s’habiller ou pas, ce qui n’est absolument jamais le cas pour les garçons. Ces questions sont politiques et rencontrer cette jeunesse qui est touchée par ces sujets c’était indispensable pour nous.

C’est quoi la différence et les ressemblances entre l’adolescence en 2022 et l’adolescence que l’on a vécue, celle des années 1990/2000 ?

Gaspard : En les rencontrant, j’ai retrouvé les mêmes peurs que les miennes quand j’avais cet âge. Je pense à cette impression qu’iels ont et que j’avais qui consiste à penser que les choix que l’on fait adolescent·es vont conditionner tout le reste de la vie, qu’une fois ces choix faits, je n’aurai plus aucune latitude. C’est une peur sur-estimée par elleux et en même temps un peu vraie. De même, ce chaos intérieur de ne pas savoir de quoi sera fait la suite d’une vie, dure toute la vie. C’est toujours le bordel quoi !

Il y a aussi comme ressemblance, une sorte de désillusion durant l’adolescence. Je veux dire qu’adolescent·e on attend l’arrivée d’une grande vérité et qui n’arrive jamais en fait.

Ce qui diffère d’avec notre génération, c’est que parmi elleux, il y a beaucoup de personnalité·es déconstruites par rapport aux questions de genres. Chez les adolescent·es que l'on a rencontré·es, j’ai trouvé qu’il y avait plus de soin dans leur écoute. J’ai l’impression que ça existait moins dans mon adolescence. J’ai trouvé ça beau de voir que quelque chose était en train de bouger !

Posté par Clément Goethals

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Les nouveaux dossiers de diffusion de La FACT

Mardi 1 février

Le premier numéro des nouveaux dossiers de diffusion format journal concocté par notre cher graphiste Félix Bisiaux est arrivé! Il s'agit de celui de Dys sur dys de François Gillerot.

Posté par Aurélien Labruyère

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Entretien avec François Gillerot autour de «Dys sur dys»

Mercredi 15 décembre 2021

Du 13 au 15 décembre dernier, Jean-Baptiste, Clément, François et moi avons décidé de travailler trois jours ensemble. L'idée était de faire le point sur cette année 2021, de travailler les contenus de notre nouveau site web, de parler de nos futurs spectacles et de commencer à imaginer et prévoir les saisons à venir... Le mercredi 15 au matin, Clément travaille sur le site, Jean-Baptiste donne un cours au conservatoire et je suis avec François pour parler avec lui de Dys sur dys. Il est 9h30, François siffle en regardant par la fenêtre, nous buvons du café, il fait plutôt beau et je lui pose ma première question.

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**Aurélien : C'est ta première création Dys sur dys ?

François : Oui c'est ma première création. C'est une création jeune public. C'est un endroit où je me sentais légitime de créer parce que je travaille beaucoup en tant qu’acteur dans le secteur jeune public, et aussi parce que c'est le cadre parfait, je trouve, pour le sujet et la forme du spectacle.

Quelle est l'histoire de Dys sur dys ? Qu'est-ce que cela raconte ?

C'est l'histoire de Pirlouit, un garçon qui souffre d'un trouble de dyspraxie. Cela raconte, de façon non-chronologique, le parcours de ce garçon depuis son très jeune âge jusqu'à ses 17ans. Quand cela commence, les spectateur∙trice∙s sont invité∙e∙s par les acteur∙trice∙s à traverser des souvenirs, des scènes de la vie de Pirlouit où il a été confronté à sa différence, à celle des autres. On le voit par exemple lorsqu'il apprend à écrire ou quand il rencontre son ami, on le voit faire la fête, on le voit avec ses professeurs. Le spectacle propose d'une certaine façon de voir le monde avec les yeux de quelqu'un de dyspraxique. Comment s'aborde le monde lorsque l'on vit avec un trouble comme celui-là ? Qu'est-ce que la norme ? Comment faire une force de ce qui peut sembler une faiblesse ?

Qu'est-ce que c'est la dyspraxie ?

Je vais essayer d'être clair parce que ce n'est pas si simple. C'est un trouble et pas une maladie. Les maladies, on les soigne. Il y a évidemment des maladies incurables mais on voit où est le virus, la tumeur, la racine de la maladie. C'est une chose extérieure au corps qui va venir le détruire, le transformer. Un trouble, c'est un dérèglement du développement. Le trouble, lui, sera toujours là. Ce que l'on peut faire c'est trouver des adaptations pour pallier ses effets. C'est très important de faire la différence parce que quand tu es atteint∙e d'un trouble comme celui-là, tu nais avec lui et tu meurs avec lui. Tout l'enjeu est donc d'apprendre à vivre avec et d'essayer d'en faire un allié, une force ou encore un pouvoir poétique. C'est le propos du spectacle.

On connait bien la dyslexie, le trouble de la lecture, la dyscalculie qui concerne le calcul, la dysphasie qui concerne la parole. La dyspraxie, elle, c'est un trouble de la coordination des gestes. Dans notre cerveau on a un endroit qui envoie une information aux membres pour effectuer un geste. Par exemple : prendre cette cafetière. Avant même de la prendre, il y a un autre endroit du cerveau qui m'indique comment faire. Je dois tendre mon bras de tant de centimètres, ouvrir ma main, saisir la hanse, la serrer et verser le café. Si cela nous paraît simple aujourd'hui c'est parce qu'on a appris à réaliser ce type de geste sans se brûler, sans renverser le café. C'est ce qu'on pourrait appeler du codage. Notre cerveau a enregistré ce geste comme plein d'autres. Pour quelqu'un de dyspraxique, il y a justement un problème à enregistrer ce que l'on appelle des gestes fins. Et donc, c'est comme si c'était toujours une première fois. C'est un trouble de l'appréhension de l'espace aussi. Un dyspraxique ne va par exemple pas savoir exactement comment placer sa chaise correctement par rapport à une table. Les dyspraxiques sont parfois désordonnés. Cela peut concerner autant l'espace où ils vivent que leurs pensées. Par exemple, un dyspraxique va avoir des difficultés à hiérarchiser ses pensées. Pour mon frère Louis, pour Pirlouit (nda : le personnage de* Dys sur dys*), ça demande un effort incroyable de se concentrer pour hiérarchiser ses pensées ou réaliser tous ces gestes que l'on dit fins. Finalement, on peut dire qu'il y a autant de dyspraxie que de dyspraxiques.

Pirlouit, tu viens de le laisser entendre, est le double théâtral de ton frère Louis, qui est dyspraxique. Il s'agit de son histoire. Qu'est-ce qui t'as donné envie de la raconter ? Tu te l'es toujours dit ou c'est venu à un moment précis ?

Je suis touché par mon frère depuis toujours. Je suis très touché de l'avoir vu souvent en situation de handicap. Touché parce que c'est une personne magnifique. Je crois que dès que j'ai commencé à faire du théâtre, je me suis dit que je voulais faire « quelque chose » autour de Louis. Je me souviens à une époque, j'avais un appareil photo et je filmais ses mains. Petits, on disait : « Louis, il a un problème à ses petites mains ». Il a un problème d'équilibre aussi. Je me souviens, je le filmais en train de marcher. En 2017, j'avais une première idée de pièce mais c'est vraiment en 2019 que je me suis dit que j'allais écrire un spectacle sur la dyspraxie. Le déclic alors est venu quand j'ai trouvé comment raconter l'histoire. La question essentielle était : comment représenter la différence au théâtre ? C'est venu d'une lecture d'un livre de Georges Didi-Huberman dont je ne me rappelle plus le titre mais qui parlait de ce qu'il appelle les fantômes de l'Europe (nda : Passer quoi qu’il en coûte). Cela parlait des camps de réfugiés aux confins de l'Union, comme des fantômes que l'on préfère ne pas voir et qui font justement exister nos frontières. Le sujet du livre n'a rien à voir avec la dyspraxie mais cela m'a donné l'idée que la différence de Pirlouit pouvait se représenter par un fantôme. Là, je me suis dit qu'il y avait quelque chose de théâtral, de fantastique que je pouvais creuser et qui m'aiderait à écrire.

Et tu as commencé à écrire ?

Pas tout de suite. J'ai commencé à élaborer un cadre à l'histoire que je voulais écrire. Les trois protagonistes d'abord : le personnage de Pirlouit, transposé de mon frère, l'Homme-Orchestre qui joue tous les personnages de la vie de Pirlouit (les professeurs, les amis etc..) et Fantômette qui est le trouble qui l'accompagne. J'aime l'idée que Fantômette soit l'expression de sa différence, qu'il n'arrive jamais à la saisir. C'est quelqu'un qui le soutient, comme une sorte de meilleure amie invisible mais qui reste inatteignable. On peut le voir aussi comme un amour inaccessible. C'est une figure très ouverte. J'avais donc ce cadre et à ce moment-là, j'ai proposé à Arthur Oudar de me rejoindre dans l'écriture et pour construire le projet ensemble.

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Et comment as-tu construit ton équipe ?

C'est ma première création alors j'ai voulu m'entourer de gens en qui j'avais confiance. J'ai réuni des personnes dont j'aime la personnalité et le travail. Dans les répétitions, je suis davantage dans une position de coordinateur, de celui qui s'occupe de la cohérence que de metteur en scène au sens classique du terme. Chacun apporte beaucoup au projet. On le fabrique tou∙te∙s ensemble. Au départ, j'avais commencé à écrire des scènes puis je les ai associées au processus dramaturgique. Chacun a fait des propositions de plateau pour enrichir le spectacle et, une fois le projet lancé en production, Arthur et moi avons écrit le spectacle durant l'été 2020.

Comment avez-vous écrit Arthur et toi ?

On a beaucoup fonctionné en « ping-pong ». J'écrivais une scène, il en écrivait une autre. On se faisait des retours. On précisait ci ou ça. Je crois que finalement, le mélange des écritures a bien pris ! Dans ce qu’on a écrit, il y a un fil narratif mais, comme je disais, c'est non-chronologique. Cela me plaisait beaucoup que le fil soit aussi désordonné que les pensées d'une personne dyspraxique. Une non-hiérarchisation des souvenirs, des pensées etc...

On parle aujourd'hui de personnes en situation de handicap et non plus de quelqu'un d'handicapé, précisément pour montrer que la norme produit un certain nombre de situations dans lesquelles beaucoup de personnes se retrouvent en situation de handicap. Finalement, peut-on dire que c'est l'organisation de nos vies, de nos espaces dans la société, qui va mettre ces individus en situation de handicap ?

Oui, l’expression situation de handicap est juste parce qu'on voit souvent le handicap apparaître dans des situations très précises. Cela peut arriver lors d'une lecture à haute voix pour un dyslexique ou bien quand il faut faire ses lacets pour un dyspraxique. Tout semble aller de soi et puis soudain, une situation suffit à rendre visible le trouble de la personne. Dans le spectacle, Fantômette apparaît quand Pirlouit revient de chez le docteur et que son trouble a été diagnostiqué. La force de Fantômette, c'est justement ce que je disais au début c'est comment peut-on apprendre à apprivoiser nos fantômes, notre différence, notre trouble. C'est un peu des grandes phrases, mais c'est bien ça : comment accepter notre différence, nos faiblesses et aussi celles des autres? Je pense que le combat c'est l'inclusivité, comment vivre ensemble avec nos différences.

De prime abord, on peut se dire que des spectacles comme Dys sur Dys ou Alzheimer Project viennent aborder des sujets que l'on pourrait dire très spécifiques mais en réalité ce n'est pas le cas dans la mesure où ces sujets touchent ou toucheront tout le monde un jour ou l'autre. Soit parce qu'on l'est soi-même, soit parce que l'on est en relation avec quelqu'un qui l'est.

Je pense que cela touche tout le monde en effet. Le spectacle parle spécifiquement de la dyspraxie, mais plus largement des troubles Dys et encore plus largement de toutes les différences par rapport à la norme. Par exemple, dans le spectacle, il y a un professeur qui est désemparé vis-à-vis du trouble de Pirlouit. Il reconnaît le trouble bien sûr, il voudrait l'aider mais il admet qu'il n'y arrive pas et qu'il ne sait pas comment faire. Cela m'émeut aussi de parler de ce point de vue-là, de ce cas de figure là aussi. Nous sommes pas toujours armé∙e∙s vis-à-vis de ces troubles. Ce sont des situations très complexes et je trouve intéressant de les montrer. C'est justement là où le théâtre est un médium formidable.

Il y a des actions qui entourent le spectacle auprès du public ?

Oui, on fait des ateliers autour du spectacle, on crée des liens avec des centres sociaux, des écoles, pour que ces troubles dys soient mieux connus encore. C'est utopique de penser que cela pourra suffire mais on apporte notre petite pierre à l'édifice. Jouer Dys sur dys est une manière d'inclure. C'est aussi important de le faire je trouve auprès du jeune public. Les enfants, les adolescents sont à un âge où les différences se marquent davantage. A l’école, ils et elles sont en relation avec la différence. Les adultes aussi évidemment… Et puis nous faisons du théâtre, c'est une façon pleine de joie de parler de ces sujets. C'est le lieu où l'on raconte des histoires.

Et comment commence le spectacle... ?

Ca commence ici et maintenant. Clément, Lucile et Gaspard s'adressent aux spectateur∙trice∙s et annoncent qu'iels vont leur raconter la vie de Pirlouit.

Salut, moi c’est Clément, et on va bientôt commencer le spectacle que vous êtes venu∙e∙s voir. Dans ce spectacle je vais jouer Pirlouit. Pirlouit c’est le héros de l’histoire. Ou plutôt c’est l’anti-héros de cette histoire Un héros ou une héroïne, ils sont souvent super balèzes, ils font des trucs de oufs, ils lancent des boules de feu, tout ça… Bon Pirlouit, lui, il est beaucoup moins impressionnant, il lance pas du tout des boules de feu, même une boule de pétanque, ce serait trop dangereux...

Posté par Aurélien Labruyère

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Entretien avec Angèle Baux Godard et Clément Goethals autour de «Alzheimer Project"

Samedi 20 novembre 2021

On est le 20 octobre 2021, Angèle, Clément et moi sommes assis∙e∙s autour d'une table, dans la cuisine de l'appartement de Clément. Nous sommes là pour échanger ensemble autour du nouveau spectacle d'Angèle Alzheimer Project. Si nous en avons bien-sûr beaucoup parlé, l'entretien nous a amené sur un terrain plus personnel, notamment à la source de leur engagement dans le théâtre et sur les motivations artistiques qui portent leur collaboration. Entre auto-fiction et théâtre documentaire, ce nouveau spectacle, dont j'ai entre-aperçu quelques répétitions, aborde la question de la perte et de la maladie. Voici quelques morceaux choisis de nos échanges.

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Aurélien : Je souhaite commencer par une question personnelle, comment avez-vous découvert théâtre ? Quel est le souvenir qui a fondé votre goût pour cet art-là précisément ?

Angèle : Pour moi, c'est un souvenir dont je parle assez régulièrement. C'était lors d'un spectacle de mon oncle, dans une espèce de cave. Je ne me souviens plus exactement de quoi ça parlait mais je sais que c'est là que ma sensibilité s'est éveillée au théâtre. Au théâtre-musique même. J'étais petite, je pense que je ne comprenais rien au texte mais j'avais trouvé ça fantastique. J'étais complètement fascinée par les lumières, par l'atmosphère, par le fait qu'on puisse parler avec de la musique, qu'on puisse se réunir pour ça. J'étais enfant et j'avais l'impression de faire partie d'un secret, comme si j'avais de la chance d'être là, sans même comprendre le sens du spectacle. C'était une forme d'émerveillement.

Clément : Lorsque que j’étais enfant, mon père, metteur en scène, m'embarquait dans ses répétitions. J'avais pas du tout l'idée ni l'envie de faire du théâtre à ce moment-là. L'instant qui a tout changé pour moi, c'était lors de répétitions d'un texte qui s'appelait *Tombouctou, 52 jours à dos de chameau *d'Ahmed Ghazali que mon père faisait au Maroc. C'était avec une équipe internationale. Il y avait des acteurs et actrices venu∙e∙s des quatre coins du monde. Ça avait lieu dans une grande maison qui comprenait une petite salle de théâtre. Moi, j'étais en vacances à côté avec le reste de ma famille et ce lieu, ces gens, m'ont complétement happé. Je passais mes journées là. Je passais mon temps de vacances à les regarder, à vivre avec eux. J'adorais la vie qui se passait là, la rencontre de toutes ces cultures, les répétitions, les veillées musicales qui avaient lieu. Pour moi aussi, c'était un émerveillement total. Cette expérience a beaucoup inspiré la façon dont il me plaît d'aborder le théâtre aujourd'hui. J'aime faire un théâtre qui se vit en troupe, qui fait se rencontrer des arts différents, qui déplace les lieux de recherche, et qui est toujours en contact avec un ailleurs. Un mode de recherche qui s'ouvre presque au-delà des répétitions. C'est un souvenir auquel je repense assez souvent.

Angèle, Alzheimer Project c'est ton deuxième texte. Comment es-tu venue à l'écriture, d'abord pour L'empreinte du vertige et puis pour celui-ci ?

Angèle : Au départ pour* L'Empreinte du Vertige*, j'ai oscillé entre plusieurs thèmes et plusieurs formes. Je me suis un peu éparpillée et au fur et à mesure, je ne sais plus très bien pourquoi, toutes ces idées que j'avais, mêlées à la lecture de Sylvia Plath qui a été une énorme claque pour moi, se sont condensées en une seule et même idée et finalement en un seul et même texte. C'est vraiment là que j'ai découvert le plaisir inouï que j'avais à reprendre mon texte initial, à y revenir, à mettre ce mot là plutôt que celui-ci, à me demander s'il y a trop ou pas assez. Mon but, c'était de réduire la distance entre ce que j'écrivais et celui ou celle qui allait lire ou entendre. J'ai adoré faire ça. Pour Alzheimer Project, je suis partie 10 jours à Paris pour me lancer le défi de trouver ce sur quoi je voulais écrire mon deuxième texte et puis pour savoir tout simplement si j'y arriverai. Je cherchais ma nécessité, j'essayais des choses, j'y revenais et j'étais de moins en moins sûre de ce que j'amorçais. En parallèle, je voyais régulièrement ma grand-mère. Elle était déjà malade et ces moments que je passais avec elle étaient d'une grande intensité. Très vite, il est devenu clair pour moi que c'était à propos de nos rencontres que je voulais écrire.

Et comment est-ce que tu écris un texte ? Tu as une approche particulière ?

Angèle : Comme je disais, je débute toujours de façon assez éparpillée et je dirais que ça m'amène à approcher l'écriture par plusieurs entrées. La première, c'est que je tiens toujours un journal de création, qui m'accompagne dans tout ce que je vois, dans tout ce que je lis, que ce soit en lien avec le projet ou pas. Ensuite, ça se mélange avec de l'écriture automatique, des exercices d'écriture que je me donne et une enquête documentaire autour de mon sujet. C'est une méthode qui change à chaque fois, c'est très empirique mais ce sont ces différentes entrées qui construisent mon texte à la fin. Pour* Alzheimer Project*, ce sont les moments passés avec ma grand-mère, que j'ai enregistrés, que j'ai filmés aussi, qui sont devenus le matériau principal ainsi que des livres théoriques sur la maladie d'Alzheimer. J'ai aussi interviewé des médecins, des psychologues qui travaillent autour du sujet. Toutes ces rencontres viennent modifier, transformer, affiner l'écriture. Le spectacle final, c'est le résultat de toutes ces influences et des apports proposés par l'équipe.

Et comment vous travaillez ensemble ?

Clément : Pour L'Empreinte du vertige, j'étais metteur en scène et Angèle écrivait. Pour* Alzheimer Project*, Angèle écrit et met en scène. Ici, je suis collaborateur artistique, garde-fou, confident presque. Angèle ne me passe pas une commande de mise en scène, on pourrait dire que je suis invité à travailler avec elle et avec cette équipe. Ce que j'aime dans ce projet, c'est que l'équipe est composée de personnes qui ont chacune un univers très singulier. C'est une contrainte assez jouissive que de rassembler ces univers. L'avantage de ce type d'invitation, c'est que cela me déplace de mon esthétique, de mes processus habituels qui sont plus des créations de plateau où le texte s'écrit au fur et à mesure. Avec Angèle, on a beaucoup de points communs dans ce qui nous touche artistiquement et en même temps beaucoup de différences. On se déplace un peu tous les deux. Je trouve que la fusion de ces deux façons de voir crée une certaine singularité. C'est un dialogue permanent. L'écriture d'Angèle part toujours de quelque chose de très intime pour aller vers l'universel. Mon premier travail, chaque fois, c'est de me détacher de l'histoire personnelle, de prendre le matériau tel quel, le travailler pour que justement ensuite l'intime vienne emplir toute la forme finale. Quelque part ma position, c'est une forme de recul qui complète le rapport intime qu'Angèle entretient avec son texte.

Quelle est la question levée par Alzheimer Project ?

Clément : Le spectacle met en lumière, à travers la rencontre avec la grand-mère d'Angèle, avec la « maladie », tout ce qui, d’un point de vue sociétal, est caché, tabou, effrayant. On est en face d'une personne dite « hors monde ». Par effet de contrepoint, cela questionne nos rythmes de vie, nos façons de regarder le monde, comment être au monde. Dans cette rencontre, tout nous échappe dans le langage, dans le rapport à la nature, dans le rapport aux choses, aux couleurs et aux autres bien sûr. On est pris de vertige. On en vient même à se demander si c'est notre monde qui est réel. Est-ce que nos vies d'aujourd'hui se vivent dans le réel ? Ce regard décalé, différent, que l'on juge ou qui nous fait peur, c'est peut-être lui qui touche le plus au vrai. Celle qui enquête justement se demande comment elle pourrait regarder autrement sa vie dans ce monde qui périclite. La question levée, et c'est ça que j'aime particulièrement, dépasse largement le spectacle. Elle englobe tout. Les ateliers qu'Angèle donne, le podcast qu’elle développe, et même le public que l'on va rencontrer. Le spectacle est comme une partie d'un ensemble beaucoup plus vaste.

Angèle : Ça pose la question de la perte. La perte de quelqu'un.e qu'on a connu.e. Cela parle de notre rapport hiérarchisé aux relations humaines. A quoi donne-t-on de l'importance ? On parle aux enfants comme à des merdes, on parle aux vieux comme à des merdes. Notre façon de communiquer est normé sur l'utilité et la fonction que tu as dans ce monde. C'est quelque chose qui m'ulcère. La relation avec ma grand-mère me pose cette question : si tu n'es plus utile à rien, qu'est-ce que tu es ? Est-ce que tu es digne d'intérêt si tu ne peux plus rien faire, si tu es tout simplement ? Donc ça pose la question de la norme dans la communication, dans nos mots. On est avec quelqu'un qui n'a plus de mots, qui n'est plus normé.

J'imagine qu'il doit y avoir une sorte de vertige pour les deux personnes qui tentent de communiquer puisque tous les mots, toutes ces normes dont tu parles, ont volé en éclat...

Angèle : C'est ça. Et ce qui me heurte, c'est cette étiquette « dossier classé sans suite » que l'on pose sur des gens comme ma grand-mère. « - Comment va ma grand-mère ? - Oh bah, tu sais y a plus rien. » Mais non, il n'y a pas plus rien ! Ce n'est pas parce qu'il n'y a pas les mots qu'il n'y a plus rien ! On est régi∙e∙s par le langage et en creux, ça sous-entend : s'il n'y a plus de mots, il n'y a plus personne. Tu n'existes plus. C'est faux. On ne supporte pas l'indéterminé, l'indicible, l'inconnu et j'ai envie de faire reconnaître le contraire.

Et si justement il n'y a pas « plus rien » comme tu dis, qu'est-ce qui reste quand on a la maladie d'Alzheimer ?

Angèle : La seule chose qui reste d'après moi, c'est l'amour qui perdure malgré la maladie. Cet amour a toujours été, même quand les mots n'étaient plus là. A chaque instant, même si elle ne me reconnaissait pas, même sans parler, l'amour était palpable, tangible, dans l'air. Toujours.

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Concrètement, qui parle sur le plateau ? Qu'est-ce qui a lieu devant nous, les spectateur∙trice∙s?

Clément : C’est un spectacle-hommage, une sorte de rituel auquel on nous invite. Angèle est sur le plateau, c’est son histoire. Enfin, c’est Angèle traversée par l’universalité de son histoire. Donc ce n’est plus seulement elle.

Angèle : Ce que l'on voit, c'est aussi quelqu'un qui vient là pour tenter de percer le mystère dont on vient de parler. Le moteur c'est celui-là, c'est comme un bélier qui veut exploser une porte. Ça parle d'amour et du refus que l'autre s'en aille...

Posté par Aurélien Labruyère

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Entretien avec Jean-Baptiste Delcourt autour de «Coriolan» de Shakespeare

Lundi 06 septembre 2021 à Bruxelles

On est le 6 septembre 2021. Jean-Baptiste et moi nous sommes donnés rendez-vous pour évoquer ensemble le spectacle Coriolan de Shakespeare qu'il met en scène actuellement au Théâtre des Martyrs.

C'est la première fois que nous prenons ce temps ensemble pour échanger autour de son travail de metteur en scène et de tenter d'approcher la nécessité qui est la sienne et la direction qu'il souhaite lui donner.

Dans Par les villages de Peter Handke, qu'il a mis en scène au Théâtre Océan Nord en 2017, Jean-Baptiste travaillait déjà, selon moi, autour des origines du conflit, de la complexité de faire communauté, avec toujours la question de l'héritage et de la filiation comme ligne de fuite. De ce point de vue, il est passionnant de découvrir aujourd'hui sa nouvelle mise en scène traversée de cette continuité.

Si dans Par les villages le cadre était plus resserré sur la famille, ici avec Coriolan, le cadre s'élargit à la société tout entière, traversée elle aussi par les mêmes contradictions et menacée des mêmes dangers.

L’action se situe au début de la République romaine en 493 av. J. -C. Des émeutes de la faim déchirent la ville. La plèbe en veut particulièrement à Caius Martius (futur Coriolan), tenu pour responsable de la famine. Pendant ce temps, l'armée des Volsques (le peuple ennemi de Rome) marche vers la cité. C'est ainsi que la pièce commence.

Ce qui suit est une sélection d'instants de notre conversation.

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Aurélien : Qu'est ce qui t'a amené à Coriolan et pourquoi le monter aujourd'hui ?

Jean-Baptiste : J'ai commencé, il y a cinq ans, à penser à cette pièce. Quand j’ai découvert Coriolan, j’ai rapidement fait des liens avec ce que nous vivons dans nos sociétés aujourd’hui mais je ne m’attendais pas à une telle corrélation avec les crises politiques contemporaines.

C'est une pièce qui déploie toute la complexité du politique. En lisant cette pièce, j'ai découvert un enchevêtrement de motifs, de raisons qui, je trouve, empêchent toute réponse facile. Je voulais me confronter à cette complexité et tenter de faire entendre tous les points de vue en présence. Cela m'a posé la question de ma place aussi, de notre bienpensance parfois à tous dans nos points de vue politiques.

Selon toi, quelle est la question levée par Shakespeare dans Coriolan ?

Je dirais que la pièce soulève plusieurs questions : Comment vivre ensemble malgré les différences et les différends ? La démocratie est-elle le pire des régimes à l’exception de tous les autres ? N’avons-nous le choix qu’entre la démagogie des tribuns, la loi du marché et la tyrannie des hommes forts ? Faut-il préférer la sécurité à la liberté, et l’ordre à la justice ?

La pièce fait co-exister toutes ces questions, elle les agite et en fait venir chaque fois de nouvelles.

Dans la pièce de Shakespeare, Rome oscille entre trois régimes décadents : une démocratie rêvée qui vire à la démagogie, une oligarchie militaire empreinte d’aristocratie et une élite tyrannique qui ne pense qu’aux intérêts privatifs. Aucun régime n’est immunisé contre la tentation d’opprimer, surtout quand plus rien ne s’y oppose. Il n'y a pas de parallèle direct à faire avec aujourd'hui, ce n'est pas la même chose, mais c'est une triangulation qui a lieu entre l'époque où se situe l'action (Rome), Shakespeare à son époque, et nous, à notre époque.

La pièce commence donc par une révolte populaire. Les greniers de Rome sont pleins de blé, pourquoi l'aristocratie le garde-t-elle ? Pour la guerre ? Pour les soldats ? La vérité, on l'ignore, mais le peuple se révolte pour cette raison tout à fait légitime.

Le peuple parvient à nommer des représentants, ce qui est un changement énorme. Ces représentants utilisent ensuite leurs paroles pour leurs propres intérêts. Survient la guerre, et c'est cet évènement supérieur qui va détourner tous les regards et accaparer toute la société.

Shakespeare nous pose la question de notre responsabilité. On est, à juste titre, critique sur ceux qui nous gouvernent et je trouve que la pièce questionne aussi ce qui anime réellement notre révolte. Le prix du blé ? L'égalité des droits ? Pourquoi nous soumettons-nous si facilement aux tyrans ? Par peur ? Par servitude volontaire ? Parce qu'on est flatté par les tribuns ?

Est-ce que l'on se bat pour soi ou pour la communauté ?

Qui est Coriolan ?

Coriolan est un homme qui a été éduqué comme le souverain tyrannique parfait. Droiture militaire, Force de la décision, Sens de l'honneur. Il impressionne le peuple par ces faits d'armes, par son caractère intransigeant, mais il déplaît au peuple en refusant de se plier aux usages en vigueur. C'est comme si cet homme avait été éduqué pour conduire un régime qui a déjà disparu. Il est en prise avec un système politique en pleine mutation. Ainsi ses valeurs se retrouvent en conflit avec la réalité. Et c'est pour cela qu'il échoue. On le traite de traître, lui qui pourtant gagne la guerre, tient son cap, ne transige pas et n'est pas versatile. Même si c'est un dictateur, il est plutôt cohérent. Il se pense dans son droit et refuse les usages de la démocratie.

Dans la pièce, Coriolan est désavoué par le peuple et se retrouve en exil chez l'ennemi. A ce moment-là, il se retourne contre son propre peuple, contre Rome. Comment expliquer cela ?

Quand on est attaqué, on se trouve des raisons de se venger. Coriolan les trouve. Quand on le bannit de Rome, il répond : « Ce n'est pas vous qui me bannissez, c'est moi qui vous bannis ». Ce sont ses valeurs, sa colère qui le conduisent à se retourner contre son peuple.

La présence de l'enfant, d'un enfant, ce n'est pas la première fois que tu y as recours dans un spectacle, c'était déjà le cas dans Par les villages. Est-ce que cette présence innocente au milieu des conflits du monde des adultes, tu la vois comme un espoirt ou plutôt comme une fatalité ?

Les deux. Il y a bien sûr la question de la filiation. De quoi héritons-nous ? Est-ce que l'on est condamné par ce que l'on hérite et donc condamné à reproduire l'histoire ?

Il est un contrepoint naïf à la tragédie en présence. Il est un électron libre. Il est, à la fois, dans une pré-science de ce qui va advenir et dans une incompréhension de ce à quoi il assiste.

Il est comme un élément perturbateur dans le jeu des adultes. C'est peut-être le seul personnage qui n'est pas encore fait, encore tout à fait construit et qui, du coup, est total. Il n'est pas encore tiraillé par les tensions qui animent le monde des adultes. Il n'est pas pris d'hubris comme peuvent l'être les adultes et particulièrement son père. On peut voir en lui autant d'espoir que de fatalité je pense.

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On a une impression d'impossibilité du politique ou du moins que la construction d'une démocratie, la conquête du droit se fait toujours dans un interstice, que ce sont des choses fragiles. La question que cela pose c'est : Est-ce que l'homme est capable de dépasser son hubris, son orgueil, son intérêt pour se mettre au service du commun ?

Je ne le crois pas personnellement mais ce n'est pas une vérité que j'affirme contre une autre. Monter ce spectacle est l'occasion pour moi, conjointement avec les spectateurs, de mettre en mouvement ces questions que je me pose, à travers les mots et les situations proposées par Shakespeare. Je ne donne pas d'éclairage ni d'opinion tranchée. Ce que nous faisons avec les acteurs, c'est tenter de donner chair à ces contradictions. C'est une forme de réalisme non-naturaliste comme peut le dire Ostermeïer par exemple.

Ce que je souhaite c'est la mise en cause de toutes les parties, au détriment même peut-être de mes propres opinions. Je ne veux pas faire un théâtre moral. Au contraire, même si je suis politiquement tenté de prendre la défense du peuple, je veux l'interroger, le mettre en cause, poser la question de sa responsabilité (et donc de la mienne).

Qu'est ce que tu cherches avec les acteurs quand tu les diriges ici ?

Ce qui m'intéresse avec les acteurs, c'est de chercher comment utiliser cette langue, qui est comme une langue étrangère parce que même traduite en français, elle est quand même complexe. On est à l'heure de la phrase Twitter et de la simplification donc j'aime l'idée qu'on se confronte à cela. Pas qu'on s'y colle comme un travail archéologique mais qu'on s'attarde sur une langue où parfois dans une seule phrase, Shakespeare parvient à contenir le monde ou une partie du monde.

Le texte dit tout. On peut faire de la scénographie, de la mise en scène, bien sûr, mais le texte dit tout.

Avec les acteurs, je travaille à l'élaboration d'une vérité augmentée. Ne pas jouer la poésie des mots, ça surtout pas, mais au contraire le rendre le plus concret possible, en suivant les chemins de pensées des personnages. Nous cherchons avec les acteurs à suivre cela, je crois, pour faire ressentir au spectateur cette langue comme si c'était la sienne. Je cherche une vérité dans le jeu qui n'est pas le naturalisme.

Quelle est la place du public dans la représentation ?

Je souhaite que le public puisse s'identifier à la fois au peuple lui-même, aux sénateurs de Rome, aux soldats et même au peuple ennemi de Rome.

Sans faire un spectacle participatif, je veux utiliser le théâtre pour ce qu'il permet, à savoir successivement regarder le monde depuis des points de vue différents. C'est à ça que le théâtre sert, je trouve. Donner la parole à toutes les parties. On découvre que l'on peut comprendre le chemin de pensée de quelqu'un qui ne pense pas comme nous. On peut même parfois se rendre compte que l'on est d'accord avec les deux parties en même temps.

On est présence du conflit inhérent à la démocratie. Qu'est-ce qui guide mon opinion ? Sans doute un étrange mélange de rationalité et de beaucoup d'affects.

Comme dans mon précédent spectacle « Par les villages », chacun est dans son droit. Chacun est légitime dans sa perception du monde. Le théâtre est le lieu où l'on peut faire cette expérience d'entrer dans la perception de quelqu'un d'autre que soi.

Pour voir Coriolan, rendez-vous du 20 au 30 octobre 2021 au Théâtre des Martyrs.

Posté par FACT

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