Aurélien : L’avantage ici, c’est que j’ignore à peu près tout de The Soft Parade. Je sais simplement que c’est un projet que vous portez à deux mais le reste je n’en sais absolument rien… The Soft Parade, c’est l’histoire de quoi…?
Gaspard : The Soft Parade c’est l’histoire d’un parc. L’Histoire du parc Phia Ménard. Dans ce parc, il y a une aire de jeu où Frankie et Adel, deux amies de longue date, se retrouvent tous les soirs, pour rigoler, partager des souvenirs et parler un peu de la vie. Ce soir-là, on apprend que le parc et par conséquent l’aire de jeu vont être détruits. Le parc va être remplacé par un centre commercial. Le nouveau grand Centre Commercial du quartier. Ca c’est le contexte on va dire.
Pour Frankie, c’est un soir un peu spécial car elle a quelque chose à dire à Adel.
Les deux amies se retrouvent et tombent sur le sac d’un jeune homme qui va arriver et qui s’appelle Aimé. Aimé est à la recherche de sa sœur.
Ces trois-là donc, Frankie, Adel et Aimé vont traverser cette nuit ensemble, échanger sur leur vie, sur leurs peurs du futur, sur leurs désirs etc…
Brièvement, The Soft Parade parle de la jeunesse et des questions qui la traverse.
Quel a été votre processus ? Vous avez écrit ensemble en amont des répétitions ? Au plateau avec les acteur·ices ?
Anna : On est parti·e d’une recherche sur l’adolescence. Précisément, à partir de la question de l’intime et de la révolte à l’âge adolescent. Après cette première longue recherche, on a écrit à deux une première version du spectacle. On a ensuite fait des premiers essais au plateau et nous sommes reparti·es écrire. On a fonctionné en aller-retour plusieurs fois pour aboutir à la forme actuelle.
Les acteur·ices sont évidemment impliqué·es dans le processus, iels ont participé en partie à cette recherche avec nous mais pour l’écriture du spectacle ça s’est vraiment fait à deux avec Gaspard, en amont du travail au plateau.
L’équipe qu’on a réunie nous a beaucoup aidé à affiner l’univers du spectacle. Je pense à notre scénographe, Sybille Cabello qui nous a aiguillé et nous a permis de trouver l’espace du spectacle.
Aussi, Gaspard et moi, on a rêvé d'un univers sonore très fort pour le spectacle. On s’est entouré·es d’une créatrice sonore qui est Barbara Juniot mais aussi d’un compositeur Maxime Pichon. Ce qui a densifié l’univers.
Qu’est-ce qui vous a poussé à créer ce spectacle là ? Quelle était la question que vous vouliez agiter ou poser à travers ce geste ?
Gaspard : Au départ, c’est parti d’un désir de parler de la révolte. C’était un peu le gros mot, le gros concept autour duquel on tournait. Ensuite, on s’est posé·e la question de comment incarner cette révolte ou plutôt depuis quel point de vue la regarder. On a donc décidé de la voir du point de vue de la jeunesse d’aujourd’hui. On voulait essayer de comprendre ce qu’est la révolte pour cette jeunesse, aujourd'hui qui a entre 13 et 18 ans.
Là, ça nous a amené sur une arborescence de questions. Pourquoi dit-on que l’adolescence est l’âge de la révolte ? Quels sont les lieux, les espaces réservés dans l’espace public pour cet âge là ?
Plus largement, on a eu envie, je crois, de redonner un peu de prestige et de maturité à un âge que l’on décrit un peu vulgairement comme “le passage à l’âge adulte”.
On s’est dit que c’était un peu plus que cela. Un peu plus qu’un passage. Alors, on s’est nourri·es d'œuvres autour de cela pour enrichir notre regard. Des œuvres littéraires mais pas que. On s’est aussi intéressé·es aux modifications “biologiques” qui ont lieu à ces âges-là. Comment cette période de la vie est observée du point de vue scientifique par exemple.
**C’est vrai que l’on entend souvent parler de l’adolescence comme d’un âge problématique… **
Anna : Complètement. On entend souvent dire "Ça passera…" Comme si ce moment de la vie où le sentiment de révolte est le plus grand était destiné à se tasser, à se tarir. Donc on a voulu donner une dignité à ces moments de la vie.
Vous avez appelé le parc où les protagonistes jouent, le parc Phia Ménard. J’imagine qu’il y a une raison.
Anna : Déjà, adolescent·es, en dehors de sa propre chambre, pour se retrouver avec les autres il y a essentiellement les endroits que l’on squatte. Ça peut être les abribus, les cages d’escaliers, les aires de jeux, les parcs etc. Et donc, en trouvant l’espace du spectacle avec la scénographe, on s’est dit qu’à défaut de pouvoir rebaptiser des lieux publics dans la vraie vie avec le nom de personnes que l’on admire, autant se le permettre dans nos fictions !
Et puis, baptiser un lieux publics avec le nom d’une femme trans, ça nous parle.
C’est aussi pour poser des indices ici ou là dans le spectacle. Des indices qui ne font pas sujets à proprement parler dans le spectacle mais qui font références à des personnalités queers. C’est une manière pour nous de faire exister ces thèmes dans le spectacle mais sans en faire un débat. C’est une sorte d’arrière-plan à l’intrigue. Il y a d’autres indices d’ailleurs !
Qu’est-ce qui anime la révolte des personnages du spectacle ?
Gaspard : Le centre commercial bien sûr, on avait même imaginé au départ que le spectacle finisse en manifestation.
Anna : La révolte ne se loge pas toujours dans des manifestations et on a dû dépasser cette première évidence. La révolte est parfois plus intime et tout aussi violente.
Gaspard : Clairement ! L’aire de jeu, le parc, représente une sorte de “cabane” comme on disait enfant, où rien ne pourra nous arriver, où on pourra rester ensemble toute la vie. Ce lieu représente une sorte d’alternative. S’il disparaît est-ce qu’on peut continuer à être ensemble ? Faut-il accepter de grandir ou est-ce qu’on peut réussir à rester jeune tout en devenant vieux ? La révolte est plus à cet endroit intime je pense. Le parc, l’aire de jeu et leur disparition fonctionnent plus en métaphore.
**C’est votre premier projet ensemble ? **
Anna : On a déjà travaillé ensemble mais de cette manière là c’est la toute première fois.
Qu’est ce que vous aimez dans le fait de travailler l’un·e avec l’autre ?
Gaspard : Au-delà du fait que l’on s’entende bien, je pense qu’Anna est quelqu’un·e qui va vraiment au bout des choses. Par exemple, dans le projet, la dimension de la révolte de cette jeunesse est un motif, une chose qu’Anna s’est vraiment acharnée à tenir, de toujours nous ramener à cette actualité, de nous relier à cette jeunesse d’aujourd’hui. Travailler avec quelqu’un·e qui tient un fil de A jusqu’à Z, c’est idéal.
Anna : J’aime beaucoup la poésie qui émane de Gaspard, sa manière de considérer les choses et le monde. Il est toujours très disponible et ouvert à ce qui arrive que cela soit en écriture ou sur le plateau. Il a aussi très confiance dans les propositions qu’il fait. C’est très stimulant je trouve quand on travaille avec quelqu’un·e.
C’est vrai que lorsque l’on travaille à deux, ce qui peut ressembler à une errance quand on est seul·e, devient une sorte de rebond permanent. Je suis bien d’accord. J’y pense, dans la FACT, on parle beaucoup ces temps-ci de ce que l’on propose aux spectateur·ices en plus de l’expérience théâtrale, en plus de la représentation. Vous prévoyez des choses en plus du spectacle ?
Gaspard : Oui, par exemple, on a suivi deux classes de secondaires pendant une année. On a travaillé avec elleux autour des thèmes du spectacle et surtout iels ont vu plusieurs de nos étapes de travail. On a proposé des ateliers d’écriture aussi.
Anna : C’est vrai aussi qu’on tenait, pour parler de cette jeunesse, à partager des moments avec elle. Suivre ces jeunes pendant un an était très riche. Par exemple, je me souviens d’un échange avec elleux autour des costumes. Iels développaient l’idée que les vêtements portaient une narration autonome. Ainsi, de la question du costume au théâtre, les questions se sont élargies à ce qui les touche aujourd’hui. Pourquoi par exemple il y a toujours des débats sur la manière dont les filles peuvent s’habiller ou pas, ce qui n’est absolument jamais le cas pour les garçons. Ces questions sont politiques et rencontrer cette jeunesse qui est touchée par ces sujets c’était indispensable pour nous.
C’est quoi la différence et les ressemblances entre l’adolescence en 2022 et l’adolescence que l’on a vécue, celle des années 1990/2000 ?
Gaspard : En les rencontrant, j’ai retrouvé les mêmes peurs que les miennes quand j’avais cet âge. Je pense à cette impression qu’iels ont et que j’avais qui consiste à penser que les choix que l’on fait adolescent·es vont conditionner tout le reste de la vie, qu’une fois ces choix faits, je n’aurai plus aucune latitude. C’est une peur sur-estimée par elleux et en même temps un peu vraie. De même, ce chaos intérieur de ne pas savoir de quoi sera fait la suite d’une vie, dure toute la vie. C’est toujours le bordel quoi !
Il y a aussi comme ressemblance, une sorte de désillusion durant l’adolescence. Je veux dire qu’adolescent·e on attend l’arrivée d’une grande vérité et qui n’arrive jamais en fait.
Ce qui diffère d’avec notre génération, c’est que parmi elleux, il y a beaucoup de personnalité·es déconstruites par rapport aux questions de genres. Chez les adolescent·es que l'on a rencontré·es, j’ai trouvé qu’il y avait plus de soin dans leur écoute. J’ai l’impression que ça existait moins dans mon adolescence. J’ai trouvé ça beau de voir que quelque chose était en train de bouger !